Introduction
Dès lors nous commençons à être plus attentifs aux alertes des experts et des scientifiques nous qui nous lançaient depuis plusieurs années à propos des changements climatiques, il devient assez aisé de réaliser à quel point ce phénomène planétaire ne relève plus du seul domaine de la prospective.
Les changements climatiques, sont déjà une réalité et ils risquent de bouleverser toutes nos vies ainsi que nos modes d’existence. L’eau, la nourriture, les écosystèmes et l’énergie risquent très probablement de se raréfier. Nos principales activités économiques, telles que l’industrie, le transport, l’agriculture et même le commerce sont confrontés à de grands défis d’adaptation.
Si cette épreuve planétaire est la première qui réunit l’humanité autour d’une cause commune à tous les êtres vivants sur la terre, ces changements occasionnés par les émissions de gaz à effet de serre, émis principalement par les pays riches se répercutent plus sévèrement sur les pays pauvres.
En effet, les pays émergents sont d’avantage exposés à ces impacts. Leur forte dépendance aux ressources naturelles ainsi que la nature de leur climat les rendent le plus souvent plus vulnérables à ces variations.
Certains dirigeants de ces pays l’ont d’ailleurs exprimé très clairement, pour exemple le président Organdi Yoweri Museveni qui dit des changements climatiques « c’est un acte d’agression des riches sur les pauvres » (www.lexpress.fr, 2007) accusant ainsi les pays à fortes activités industrielles de ce changement.
Il en va de même du discours tenu par le Premier Ministre de l’Éthiopie Meles Zenawi au sommet de Copenhague « Nous savons tous que l’Afrique n’a pratiquement pas contribué au réchauffement planétaire mais qu’elle est la première à en subir les conséquences les plus lourdes… L’Afrique paie ainsi le prix de la richesse et du bien-être créés dans les pays développés au moyen d’un développement à forte intensité de carbone. Cela est fondamentalement injuste…Mais nous ne sommes donc pas venus ici en qualité de victimes du passé, mais en qualité d’acteurs de l’avenir afin de bâtir ensemble un avenir meilleur pour nous tous ». (un.org)
C’est ainsi que les pays du sud dans leur totalité ont choisi de signer la convention de Paris. Choisissant ainsi de devenir des acteurs et non pas seulement des victimes passives. Les même pays ont compris qu’en acceptant d’endosser cette responsabilité, ils auront le pouvoir d’agir côte à côte avec leurs homologues du nord, sur la voie de décarbonation.
Quel modèle de transition énergétique pour les pays du Sud ?
Le rapport spécial du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) de 2018 sur les conséquences d’un réchauffement planétaire de 1,5 °C, exprime clairement le fait que les populations défavorisées et vulnérables qui dépendent des activités agricoles seront davantage exposées aux risques des changements climatiques.
Au-delà des discours politiques et de la diplomatie climatique, nous savons pertinemment que les pays qui participent le moins à ces émissions de carbone, souffriront le plus des conséquences de ces dérèglements.
Plusieurs spécialistes portent des critiques très sévères sur les objectifs de développement durable, à l’exemple de l’objectif numéro dix (10). Le but de cet objectif est de réduire les inégalités entre les pays à fort revenu et les pays dont la plus grande partie de la population vit au jour le jour.
Dominique Bourg, philosophe franco-suisse et spécialiste des questions environnementales insiste dans son ouvrage « Transition écologique, plutôt que développement durable » sur le fait que : « Le développement durable n’est pas un concept opératoire pour faire face aux défis globaux auxquels doivent répondre les sept milliards d’êtres humains mais, au contraire, déplore Dominique Bourg, une déclinaison du conformisme, une manière de nous cacher, encore une fois, que nous sommes devant une « cascade de finitudes ». Il faut, selon lui, mettre la durabilité – et non le développement dit « durable » – au coeur de la transition écologique ». Il précise par la même occasion que les pays du Sud seront amenés à développer un modèle propre à eux, qui diffère des pays du nord.
Ces pays n’étant pas considérablement dépendants aux technologies, la transition peut se traduire par un saut technologique qui permettra possiblement à ces pays émergents de profiter d’une source d’énergie qui ne nécessite pas forcément de grandes infrastructures de raccordement. D’ailleurs les installations solaires « Hors réseau » ont rencontré beaucoup de succès auprès des populations dans le sud de l’Algérie. Notamment en ce qui concerne les agriculteurs ainsi que les pasteurs nomades qui ont dans ce domaine une longueur d’avance sur les décideurs.
Par contre, même si le développement local de ce modèle de transition relève de la responsabilité des pays émergents, l’assistance financière et technologique des pays développés demeure pour le moment essentielle. Ceci ne se fera pas non plus sans le transfert de connaissances Nord- Sud en matière de développement, stockage et distribution de l’énergie décarbonnée. Des pistes d’adaptation doivent de même faire l’objet d’études communes. En effet, tenant compte de climat particulier des pays du sud, ces derniers ont développé des méthodes vernaculaires d’adaptation qui leur ont jusqu’ici permis d’être résilients dans des conditions de vie parfois très hostiles.
Une transition économique avant la transition écologique
Semblablement à ce que nous avons évoqué dans l’introduction, les changements climatiques impactent tous les aspects de notre vie quotidienne. Ce qui implique qu’une transition énergétique ne peut se faire sans une transition économique et industrielle adéquate.
Une transition qui doit se mettre en place sans plus tarder d’après le GIEC. Pour ne pas dépasser les 1,5°C à l’horizon 2030, des changements radicaux doivent s’opérer dans les domaines de l’énergie, de l’aménagement des terres, de l’urbanisme, des infrastructures, y compris des transports et du bâtiment, ainsi que des systèmes industriels. (GIEC, 2018)
La révision de la fiscalité sera également l’un des plus grands challenges des gouvernements. Dans des pays à faible revenu ou les énergies fossiles sont subventionnés, une levée immédiate ou progressive de ces subventions peut entrainer des conflits politiques conséquents. Plusieurs experts de l’énergie appuyés par les économistes encouragent le transfert de ses subventions au secteur du renouvelable. D’autres appellent les gouvernements à donner aux différents acteurs de la transition des opportunités fiables et des incitations pour les encourager à investir dans ce secteur d’activité.
Le découplage entre l’économie et l’environnement est une autre piste intéressante à explorer.
Il reste de même des questions autour de l’équité Nord-Sud. Éloi Laurent, dans son article » faut-il décourager le découplage ? « , relève plusieurs points à ce sujet. Particulièrement en ce qui concerne le transfert de la pollution et les fuites carbones vers les pays en développement.
Les pays émergeants font face à des choix très difficiles. Devraient-ils adopter la cause climatique en dépit de leur droit au développement ? Ou devraient-ils plutôt opter pour un nouveau modèle de développement ? Travailler main dans la main avec les pays du Nord pour progresser ensemble vers des deals gagnants-gagnants ne serait-il pas le pari probablement le plus sage ?
Double flou : scientifique et politique
D’après l’économiste français et directeur de recherche émérite au CNRS, » Jean-Charles Hourcade », le rapport du GIEC sur le réchauffement planétaire de 1,5°C ne montre pas suffisamment l’ampleur des impacts entre ce même réchauffement et un scénario de 0,5° supérieur à cette même augmentation.
Ce flou qui plane sur les conclusions du groupe d’expert GIEC, peut induire des interprétations peu favorables à une estimation réelle de l’importance des impacts de ces variations climatiques par les décideurs.
Laisser les politiciens décider seuls d’un écart qui semble anodin, peut constituer un enjeu de taille. La perspective que ces derniers prennent une décision en faveur de la biodiversité ne semble pas très convaincante. D’autant plus, que même après de fortes mobilisations et des appels lancés par différentes parties, des actions concrètes tardent à venir. C’est d’ailleurs l’avis d’Igor Babou, professeur en sciences de l’information et de la communication à l’université Paris Diderot, et de Joëlle Le Marec, professeure en sciences de l’information et de la communication à Celsa, au sein de l’université de Sorbonne. Dans un article publié dans le média « The Conversation « , intitulé Crise environnementale : pourquoi il faut questionner les « appels à agir d’urgence », nous pouvons lire ce qui suit : « le sérieux a changé de camp »….Cessons d’en appeler aux politiques et tournons-nous plutôt vers ceux qui, partout à leur niveau, montrent qu’une autre voie est possible.
Il est donc fondamental d’inclure les populations, dans cette prise de décision. Ces derniers auront ainsi le choix de décider de leur propre sort en se basant sur les études et les recommandations des scientifiques. L’humanité a fait preuve d’une grande ingéniosité, celle-ci lui permettra de trouver des solutions pour démocratiser la prise de décision à échelle planétaire. Les citoyens appuyés par les informations des chercheurs du monde entier, pourront estimer d’eux-mêmes les risques qui leurs semblent plus plausibles à prendre et choisir le modèle adéquat de transition décarbonnée ; même si cette dernière inclue des solutions telle que le nucléaire, qui reste encore fort controversé politiquement.
Aurélien Barrau, astrophysicien français, docteur en philosophie et militant écologiste pense quant à lui que la planète aurait été moins dégradée si ses habitants avaient suivi le modèle de développement de nombreux peuples autochtones. (The conversation, 2018). Il serait de ce fait intéressant d’envisager un certain transfert de savoir du sud vers le nord, pour trouver un juste milieu entre la science et savoirs-ancestraux pour mener l’humanité à un répit climatique durable.
Cette grande épreuve planétaire, incombe le défi de réunir différents pays autour d’une cause commune. Une cause mondiale qui semble transcender n’importe quel autre objectif national, quel qu’il soit. Cette mise en oeuvre de la diplomatie au service de l’environnement pourra-t-elle cependant permettre de redistribuer les cartes géopolitiques entre le nord et le sud pour le grand bien de tous les peuples du monde ? N’est-ce pas une transformation radicale des fondements même du paradigme du développement qui devra s’opérer pour atteindre un tel niveau de justice climatique ? Seul l’avenir nous le dira.
MECHIECHE Zineb