La fin de l’automne marque un évènement très spécial pour les communautés Amazighs de l’Algérie. Les familles se rassemblent dans leurs villages natals pour le fameux rituel de ramassage d’olives. Chaque année, femmes, hommes et enfants, se précipitent vers leurs champs pour cueillir et ramasser ce fruit à forte symbolique culturelle et sociale.
Cette saison, la récolte fut très maigre. Contrairement à la période de cueillette habituelle, qui s’étale en moyenne sur deux mois, cette fois-ci elle n’aura duré que deux semaines ! Certaines familles se sont même retrouvées les mains vides.
Interrogés par la chaîne de télévision TV5, les mouliniers estiment que cette baisse de production est due à des phénomènes climatiques tels que la sécheresse, les feux de forêts, ainsi que la prolifération de la mouche de l’olivier.
Sans des études plus poussées, nous ne pouvons affirmer catégoriquement, qu’à l’heure actuelle, cette baisse de productivité a une corrélation avec les effets directs ou indirects des changements climatiques. Cependant, cette piste demeure tout de même la plus envisageable.
En effet, le bassin méditerranéen est considéré comme un « hot spot » des changements climatiques (Giorgi, 2006). Les projections futures indiquent des tendances de réchauffement considérables, ainsi qu’une augmentation des jours de sécheresse consécutives dans cette région (GIEC, 2012), entrainant ainsi un accroissement de l’aridité. Dans un tel contexte, le changement climatique peut devenir particulièrement pénalisant pour les oléiculteurs (Moriondoetal., 2015).
Des investigations récentes appliquées aux oliviers ont montré que cette culture peut être fortement affectée par le changement climatique (Osborne et al.,2000; Orlandi et al., 2005; Ponti et al., 2014).
Dans un climat plus chaud, la floraison risque d’être perturbée ou quasiment interrompue. Les travaux de Hartmann ont démontré que, au mois de janvier, certaines variétés d’olivier ont besoin d’une température moyenne inférieur à 10° Celsius. Cette condition est nécessaire pour une floraison normale. Certains scénarios ont même démontré une floraison nulle pour certaines espèces dans des climats plus chauds.
Selon les chercheurs, ce réchauffement climatique devrait affecter également les variations périodiques de la vie de l’olivier. Etant donné que les phases de floraisons et de croissances seront raccourcis, ceci réduira l’accumulation de la biomasse et par conséquent, le rendement (García-Mozo et al., 2010) ou la teneur en huile.
Ce dernier phénomène a considérablement touché la récolte de cette année. Selon les ingénieurs agronomes que nous avons interrogés, le fruit a mûri en avance. En Kabylie, par exemple, où les oliveraies traditionnelles se situent majoritairement dans les villages, la coutume veut que ce soit le comité des villageois qui annonce la date du début de la récolte. De ce fait, les propriétaires des arbres ne peuvent ramasser leurs olives, et cela malgré que ces dernières tombent au sol et risquent par la même occasion d’être consommés par les sangliers et les étourneaux migrateurs.
C’est effectivement dans cette région, à l’est de l’Algérie, que nous trouvons le plus d’oliviers. Plus spécifiquement à la petite et la grande Kabylie. Les wilayas de Bejaia, Bouira et Tizi-Ouzou représentent 44% de la superficie totale de l’oléiculture du pays (Ait Mouloud, 2014).
L’oléiculture dans cette région dépend toujours des conditions climatiques, notamment de la pluviométrie. Malgré la modernisation du parc de transformation, le rendement n’a pas beaucoup évolué. Dans la Wilaya de Tizi-Ouzou, depuis le début de la saison oléicole, seule la moitié de la production prévisionnelle aura été récoltée (L’expression, janvier 2021)
A cause du stress hydrique, des dizaines de milliers d’arbres ont été asséchés cette année dans la wilaya de Bouira ( ElWatan, Novembre 2020). Cette zone risque de voir régresser sa production d’huile d’olive. Même si l’arbre réussi à survivre à la sécheresse, ce changement aura des répercussions sur la qualité de l’huile. En temps de sécheresse, on obtient une huile acide voir piquante sur le plan qualité avec une baisse de rendement.
Fragilisé par divers problèmes liés aux changements climatiques, l’arbre pourtant réputé pour sa robustesse, voit son système immunitaire s’affaiblir. Sa capacité de réaction sera compromise, surtout si celui-ci est abandonné à son propre sort sans un réel entretien, comme c’est les cas pour la plus grande partie des oliveraies en Algérie. L’olivier devient ainsi très sensible aux agents pathogènes ainsi qu’une proie facile pour de nombreux parasites.
Par ailleurs, la mouche de l’olive, a considérablement impactée la production oléicole de l’année en cours. Cette perturbation touche la qualité, la quantité et le rendement de cette filière de production. Avec un pH plus acide, l’huile obtenue avec ces olives infectées s’avère de moindre qualité.
Le rendement de cette année a mis plusieurs familles face à deux rudes épreuves. En premier lieu un stress économique puis émotionnel.
De toute évidence, la cueillette des olives s’inscrit dans les traditions ancestrales de la Kabylie. Cet évènement est programmé généralement durant les vacances d’hiver où les familles désertent les villages pour rejoindre leurs champs. Cette activité porte en elle une partie du patrimoine culturel immatériel de l’Algérie, à l’instar de ces chants traditionnels appelés en kabyle« Assa Tiwizianleqdhazemour », qui sont habituellement fredonnés par les femmes et les enfants et qui signifient « le jour d’entraide pour la récolte des olives ».
Pour ces communautés Amazighs, la dimension socio-économique d’une telle entreprise est aussi importante que sa valeur symbolique et culturelle. Les villageois, entrent dans une course contre la montre et redoublent d’efforts pour faire tourner les huileries à plein régime. Pour les étudiants et les chômeurs, c’est un travail saisonnier qui leur permet de compenser le manque d’emploi régulier dans la région.
Quant à l’huile d’olive, elle est utilisée dans plusieurs rituels esthétiques, mais aussi pour traiter les blessures, les malaises d’estomac, les douleurs musculaires et d’autres problèmes de santé. C’est également un ingrédient essentiel dans plusieurs recettes culinaires de la Kabylie.
L’influence de ces changements climatique est donc multidimensionnelle. D’un côté il y a des conséquences sur l’agro-écosystème des oliveraies et d’un autre sur un patrimoine culturel national dont dépendent financièrement, de manière directe ou indirecte, nombre de familles algériennes.
Si rien n’est fait pour améliorer la résilience de même que la résistance de l’olivier de Kabylie, ce symbole de la culture amazigh risque fort de ne plus être à la hauteur de sa réputation. Les effets des changements climatiques peuvent ainsi marquer le vivant « olivier » ainsi toute la chaine de vie qui dépend de son existence, à l’image des êtres humains qui ont construit un large pan de leur culture et de leur économie autour de cet arbre.
MECHIECHE Zineb