Comme chaque année, les feux de forêt étaient aux rendez-vous ; cet invité indésirable s’impose chaque année pour réduire en cendres des milliers d’hectares de végétation, laissant ainsi un décor des plus désolants affectant ainsi la faune et la flore des zones forestières et des maquis, sans omettre les autres conséquences néfastes sur l’environnement. Le dispositif de prévention et de lutte contre les feux de forêt concerne 40 wilayas, 38 d’entre elles ont été touchées, les plus affectées sont Tissemsilt, Tizi Ouzou, Aïn Defla, Béjaïa et Médéa.
Cette année, le bilan est beaucoup plus lourd que celui de l’an passé
Le bilan officiel donné par la direction générale de la Protection civile lors de la rencontre sur l’évaluation de la campagne 2018 et la préparation de celle de 2019 fait ressortir des pertes de 2312 hectares englobant forêts, broussailles et maquis, considéré comme étant le taux le plus faible de pertes de forêts depuis l’indépendance du pays.
Par contre, pour l’année 2019, le chargé de la communication à la direction générale de la Protection civile fait état d’un bilan inquiétant enregistré durant la période allant du 1er juin jusqu’au 2 août, où il comptabilise 1073 incendies avec la perte de 2553 ha de forêts, 2346 ha de maquis et 4220 ha de broussailles.
Les pertes en productions agricoles durant cette période sont également conséquentes, il s’agit de 49 000 arbres fruitiers et 2702 palmiers brûlés, il a été enregistré également une perte de 7694 ha de blé et d’orge, et ce bilan pourrait s’alourdir encore plus avant la fin de la période estivale.

le facteur humain et les causes naturelles ne sont pas bien déterminés
Selon une étude établie par la FAO, les feux de forêt dans le bassin méditerranéen sont, dans leur majorité, provoqués par l’homme. Les causes naturelles ne représentent qu’un faible pourcentage (de 1 à 5% en fonction des pays), et ce, contrairement aux autres parties du monde où l’origine naturelle est prédominante. Dans un autre rapport du même organisme, on peut lire que selon les statistiques officielles algériennes, 80% des causes des feux de forêt sont inconnues et, pour les 20% restants, elles tendent à proposer d’autres interprétations, comme «l’origine naturelle».
Un conservateur des forêts dans une wilaya du littoral a indiqué que dans la majorité des cas des feux de forêt signalés sur les bandes littorales, où le prix du mètre carré de terrain est très élevé, est d’origine volontaire. Les incendies sont provoqués pour dégager des assiettes foncières !
L’autre cause évoquée par le même responsable est imputée aux éleveurs qui assurent la régénération des pâturages en brûlant le tapis végétal ! Cette pratique évite aux plantes de devenir ligneuses et dures, donc non combustibles pour le bétail ; cette pratique se propage surtout sur les bandes littorales où l’on pratique l’élevage ovin et bovin. Beaucoup de personnes évoquent également ceux qui provoquent les feux de forêt afin d’exploiter le charbon qui fait leur fortune à l’approche de l’Aïd El Adha !
Ces thèses ont été officiellement écartées par le Directeur général des forêts (DGF) qui, lors d’une conférence de presse animée récemment autour du bilan et de l’analyse des feux de forêt durant la période estivale, a affirmé qu’il est quasiment impossible d’exploiter du charbon de bois à partir des feux de forêt car le bois brûlé perd son pouvoir calorifique. En plus, la fabrication du charbon de bois obéit à d’autres techniques. Le DGF a écarté également la thèse selon laquelle les feux sont provoqués par «la mafia du foncier agricole» et a indiqué à cet effet que «des feux sont provoqués par des citoyens sur des terres leur appartenant et sur lesquelles la forêt s’est développée après avoir été délaissées» et d’ajouter : «Pour le moment, nous n’avons pas constaté de flagrant délit de pyromanie» ; par contre, le ministre de l’Intérieur, des Collectivités locales et de l’Aménagement du territoire a fait état, depuis Constantine, de «l’ouverture de plusieurs enquêtes» par les services de sécurité afin de déterminer les auteurs de cette vague de feux de forêt, assurant que la loi sera rigoureusement appliquée pour sanctionner ces «actes criminels».
Ces déclarations contradictoires nous donnent une idée sur la non-maîtrise du problème par les services concernés et l’inexistence de cohérence entre les responsables censés prendre en charge et combattre ce fléau dévastateur !
Gestion des incendies en Algérie, action préventive peu efficace et manque de moyens de lutte
La politique de prévention et de protection contre les incendies de forêt a été mise en place progressivement depuis les années 1980, mais il s’avère que cette politique n’a pu faire face à la prolifération de ce phénomène et à la propagation des feux de forêt chaque année.
La communication et la sensibilation peuvent jouer un grand rôle dans la prévention des feux de forêt, ces actions concernent surtout les populations des agglomérations proches des milieux forestiers, et la définition d’une stratégie multisectorielle dans ce sens est primordiale. La stratégie doit impliquer et assurer la participation des différentes structures de l’Etat dans la lutte contre les feux de forêt en fixant leurs obligations. Actuellement, les principaux acteurs sont la Protection civile et les services forestiers. La responsabilité de la lutte est déléguée à la première entité, tandis que l’administration forestière est en charge des opérations de protection et d’aménagement.
La Direction générale des forêts (DGF) doit impérativement appliquer un plan d’aménagement des milieux forestiers adéquat de façon à contribuer efficacement à lutter contre le phénomène et freiner la propagation et l’extension des feux dans ces milieux ; ces travaux concernent essentiellement l’extension du réseau des pistes forestières et des pare-feu pour renforcer celui existant déjà, de même pour l’aménagement de nouveaux points d’eau, et en guise de surveillance, renforcer les postes de vigie et les brigades forestières mobiles.
L’Etat doit également s’équiper en matériel moderne et efficace de lutte contre les feux de forêt, l’acquisition de Canadairs et d’hélicoptères bombardiers d’eau est déterminant pour lutter efficacement contre ce fléau.
Par Aïssa Manseur , Expert consultant en agriculture
Référence : Ouahiba Meddour-Sahar et Christine Bouisset, 2013 : Les grands incendies de forêt en Algérie : problèmes humains et politiques publiques dans la gestion des risques, Revue géographique des pays méditerranéens
Source: https://www.elwatan.com